mercredi 15 août 2012

Pourquoi le fruit défendu ?

Voici enfin mon premier message !

Suite à un débat sur un forum "philosophie" de jeuxvideo.com, je remonte cette réflexion que j'ai développée il y a quelques temps déjà, en partant du texte du fruit défendu (Gn, 2.7-9, 15-17 ; 3.1-5, 7-10 ).

Je me dis qu'en ce jour de l'Assomption, où nous prions Celle dont la descendance nous a délivré du péché, celle qui a la lune en-dessous de ses pieds (Ap.12.1 : la lune symbolise le mal, la femme est donc celle qui vainc le mal par sa maternité.), n'est pas une mauvaise occasion de réfléchir sur ce péché.

voici le texte :
« ch.2
[7] L'Éternel Dieu forma l'homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant. [8] Puis l'Éternel Dieu planta un jardin en Éden, du côté de l'orient, et il y mit l'homme qu'il avait formé. [9] L'Éternel Dieu fit pousser du sol des arbres de toute espèce, agréables à voir et bons à manger, et l'arbre de la vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal.
(...)
[15] L'Éternel Dieu prit l'homme, et le plaça dans le jardin d'Éden pour le cultiver et pour le garder. [16] L'Éternel Dieu donna cet ordre à l'homme: Tu pourras manger de tous les arbres du jardin; [17] mais tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.
(...)
ch.3
[1] Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs, que l'Éternel Dieu avait faits. Il dit à la femme: Dieu a-t-il réellement dit: Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin? [2] La femme répondit au serpent: Nous mangeons du fruit des arbres du jardin. [3] Mais quant au fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n'en mangerez point et vous n'y toucherez point, de peur que vous ne mouriez. [4] Alors le serpent dit à la femme: Vous ne mourrez point; [5] mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.
(...)
[7] Les yeux de l'un et de l'autre s'ouvrirent, ils connurent qu'ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s'en firent des pagnes. [8] Alors ils entendirent la voix de l'Éternel Dieu, qui parcourait le jardin vers le soir, et l'homme et sa femme se cachèrent loin de la face de l'Éternel Dieu, au milieu des arbres du jardin. [9] Mais l'Éternel Dieu appela l'homme, et lui dit: Où es-tu? [10] Il répondit: J'ai entendu ta voix dans le jardin, et j'ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché.
(...) »

La question que je me posais :

Pourquoi Dieu plante t-il un arbre - et en plein centre du jardin, là où il est le plus accessible - si c'est pour interdire à l'homme d'en manger ?
Que voulaient dire par là les auteurs de ce texte de la Bible ?

J'avais pris cette comparaison grossière :
Ce serait comme si un adolescent venait se moquer d'un enfant plus jeune, en lui mettant une glace sous le nez pour ensuite le narguer en lui disant : « Tu en veux, hein ? Ben, t'en auras pas, nananîâââ et traliloulila ! »

On y avait réfléchi avec un ami, sa réponse était que "si l'arbre n'avait pas été là, ce jardin n'aurait pas été complet, donc l'oeuvre divine n'aurait pas été parfaite". Cette réponse ne me satisfaisait pas, car cet arbre introduit pour l'homme le pouvoir de pécher en s'élevant au niveau de Dieu.
Et à mon avis, les auteurs hébreux de ce passage accordait à cet arbre trop d'importance pour que ce ne soit qu'un détail du décor, la cerise sur le gâteau de la perfection du jardin.

Réflexions sur la condition et la liberté humaine :


Mais j'ai vite pensé à une réponse qui m'a satisfait bien plus :
Cet arbre n'est en fait pas SEULEMENT au centre du jardin, il est surtout au centre de la relation entre Dieu et l'homme, sa créature :
Premièrement, il s'agit de l'instrument de la liberté de l'homme : l'homme a le choix entre obéir ou désobéir à Dieu, Dieu lui interdit de manger du fruit (et l'avertit des conséquences d'un tel geste !) mais il lui donne néanmoins la possibilité de la faire pour que l'homme soit libre, et que sa liberté soit parfaite : l'homme a la possibilité de désobéir à son Créateur, ce n'est pas rien !
 Deuxièmement, il s'agit d'un pacte de confiance entre Dieu et l'homme : Dieu demande à l'homme de lui faire confiance en lui obéissant. C'est la base de leur relation personnelle.

C'est bien pour cela que les fruits de cet arbre donnent la connaissance du Bien et du Mal : il s'agit pour l'homme d'acquérir la capacité de décider lui-même, de faire ses choix, de ne plus suivre les règles. Il s'agit de refuser de faire confiance aux jugements de Dieu et de juger par soi-même quels actes nous conduisent au bonheur.
Quand l'homme mange du fruit, le jugement n'est plus la prérogative exclusive du Créateur : l'homme s'en empare pour s'émanciper de la tutelle de Dieu, il refuse alors de s'en remettre à lui : juger est le pouvoir de Dieu (rappelons que pendant toute la Genèse, Dieu juge son oeuvre de Création : "il vit que cela était bon.") ; dans ce texte, il est le maître de l'esthétique autant que de l'éthique. Or cela lui échappe à l'instant même où l'homme s'arroge le droit de juger lui aussi de sa Création (et aujourd'hui, beaucoup disent
« si Dieu existait, pourquoi tout ce mal dans le monde ? » En oubliant aussi de voir tout ce qu'il y a de bon dans le monde !).

Mais cette possibilité du choix que Dieu lui offre était la condition pour que sa créature soit véritablement et parfaitement libre, et c'est une relation fondée sur cette liberté que Dieu voulait bâtir avec l'homme, selon la Bible.

C'est pour cela que l'homme en devenant lucide (il a le pouvoir de juger !) et se voit tel qu'il est : petit, faible, fragile, désarmé..: en un mot, nu.

Pour aller un peu plus profondément :


Ayant assisté récemment à une conférence d'une frère bénédictin, le frère Marc, qui a bien voulu m'envoyer son  texte, je vous en propos quelques extraits :


« Il y a une question que l'on peut se poser. Si Adam et sa femme ne devaient pas manger de cet arbre, pourquoi Dieu l'a t-il mis là, en plein milieu du paradis ? Autrement dit, Dieu n'était-il pas en train de jouer avec le feu en ne cachant pas cet arbre à la vue de nos premiers parents ? La réponse est que cet arbre devait aiguiser leur désir : désir de vie immortelle, de vie éternelle, de vie divine, d'amour surnaturel.

Et nous comprenons bien alors, que posséder la vie divine, la vie éternelle, la vie totale, l'amour surnaturel, dans ses fondements les plus ultimes, c'est savoir ce qui est bien, ce qui facilite, encourage, nourrit cette vie et ce qui est mal, c'est à dire, ce qui la désagrège et la détruit. À force de regarder cet arbre, en effet, Adam et Ève ont fini par comprendre qu'il leur donnera accès à la divinité, le jour où Dieu les admettra dans le sein de la Trinité. Ce jour-là, ils pourront en manger.

Toute la ruse du serpent consiste à les faire passer du désir à la convoitise.

Dieu veut que l'homme soit avide de la vie divine, qu'il la désire de toute son âme, qu'il veuille devenir amour comme il l'est lui-même. Or le serpent parvient à brouiller le jeu.
Du désir de la vie divine en Dieu, avec Dieu, il fait passer nos premiers parents à une convoitise pour soi.

Adam et Ève ont cru qu'ils pourraient devenir des dieux pour eux-mêmes, c'est à dire, sans Dieu, sans amour, et bien plus, en opposition avec Dieu. L'homme pensait pouvoir devenir Dieu par ses propres forces. Il a manqué son but, car Dieu, parce qu'il est créateur et maître de la création, parce que lui seul connaît la fin de sa créature, le but pour lequel elle a été créée, lui seul aussi sait ce qui est bon pour elle, c'est-à-dire, ce qui la conduit à son plein accomplissement et ce qui lui fait atteindre ce but qu'il a déposé dans la nature même de sa créature. De la même façon, il sait ce qui l'en détourne, ce qui est mal.
L'évènement qui vient de se passer est capital.

 "passer du désir à la convoitise"


En tournant le dos au désir de Dieu et de l'amour surnaturel, et en acquiesçant à la convoitise, l'amour naturel de l'homme se trouve blessé et dénaturé. Au lieu d'être orienté vers l'autre, il revient désormais sur soi. L'homme ne peut plus aimer spontanément que d'un amour égoïste, pour lui. Le cœur de l'homme dévoyé va corrompre toutes les autres facultés humaines. En particulier notre sensibilité et notre affectivité qui sont des qualités inestimables, vont être détournées par l'amour naturel blessé dans un but égocentrique.

Adam éprouve le besoin de couvrir sa nudité, 

pour diminuer la convoitise de l'autre sur son propre corps


C'est là que se trouve le fondement de toutes nos difficultés en tous domaines, mais plus particulièrement dans celui de la charité, de l'humilité et de la chasteté. C'est pourquoi Adam éprouve le besoin de couvrir sa nudité, pour diminuer la convoitise de l'autre sur son propre corps.
Or Adam a voulu connaître directement ce qui est bien et ce qui est mal, pas simplement pour en avoir connaissance, par curiosité, mais pour pouvoir en décider par lui-même et agir ainsi en toute autonomie morale, comme s'il était un dieu.  »



« À vrai dire, Dieu est impuissant devant notre péché parce que le péché est un acte libre. Il ne peut donc ni nous empêcher de pécher, ni même réduire à néant les conséquences de nos péchés : ceux que nous avons commis, ceux dont nous avons souffert de la part d'autrui, et ceux dont nous avons hérité de nos parents, à commencer par le péché d'Adam. Or, seul un être libre peut aimer, nous l'avons dit en parlant de la liberté (XIII, 1). Anéantir en nous le péché et ses conséquences revient à anéantir notre liberté (XIII, 4). Et donc, notre capacité d'aimer. »



Sur ce, bonne fête de l'Assomption à tous !_