dimanche 20 novembre 2016

Prier le Rosaire (1) : le péché & le besoin de Dieu

Avec mes multiples activités, j'ai du mal à être assidu à la prière, ainsi qu'à ce journal de réflexion chrétienne. Je n'oublie pas le Seigneur, mais j'éprouve des difficultés à lui accorder du temps, et c'est pour moi une chose grave que de manquer à consacrer quelques minutes à celui qui nous a offert la vie de son propre fils. Régulièrement pourtant, je prie le Rosaire, la prière des dominicains. Et, tout récemment, cette prière a été pour moi l'occasion d'une acuité nouvelle sur ma relation à Dieu.

Récemment, je me suis rendu compte combien mes péchés étaient graves. Plus que je ne les considérais auparavant. En trente ans, j'ai connu l'angoisse autant que la sérénité, la peine autant que la joie, l'inquiétude et la crainte autant que la confiance et l'espérance. Mais, depuis quelques temps, je me sens enfermé dans mes propres défauts, mes propres tentations, mes propres faiblesses à succomber au péché. 
Je ne me suis jamais considéré comme un saint accompli (et on m'a toujours appris qu'il fallait de toutes façons une vie entière pour atteindre la sainteté - sauf peut-être dans le cas de Thérèse de Lisieux ?), mais j'ai toujours pensé être relativement peu pécheur et coupable uniquement de quelques peccadilles, même si j'ai commis parfois quelques grosses erreurs, je les pensais pardonnables selon les criconstances et commises en toute bonne foi.

Des événements récents m'ont clairement montré que l'emprise du péché sur moi était bien plus grave que cela. Je me suis senti non seulement coupable, mais aussi impuissant à réparer mes erreurs (je me laisse aller à la grossièreté en confessant que c'était vraiment des conneries magistrales). 

Et je me suis mis à prier le rosaire avec davantage de ferveur que précédemment. Superstition et culpabilité, me direz-vous peut-être ?


Superstition et culpabilité ?


...Non, pas vraiment. Je ne crois pas qu'une prière lave des péchés comme l'eau et le savon lave de la sueur de la journée. Je ne crois pas non plus que prier donne le droit d'agir à sa guise : un petit péché ? Hop : une prière et n'y pensons plus, cela me donne le droit d'être un salaud, puisque je suis fidèle à Dieu dans la prière !
Dieu n'a jamais été pour moi, ni un croquemitaine qui fait peur pour que je reste dans le droit chemin, ni un passe-droit qui autorise à pécher si on lui demande pardon dans la prière - une sorte de garantie éthique de ma supériorité morale et de ma liberté supérieure à celle des autres ? C'est exactement contraire au message de l'Evangile ! - ni une source de bonne conscience superstitieuse, un être qu'il faut prier pour repousser les châtiments, les punitions, les malédictions qu'attireraient sur moi mes mauvaises actons.

Je ne me sens pas plus propre après avoir prié qu'avant, je me sens toujours aussi pécheur - aussi sale -, qu'auparavant. Je ne tiens pas une comptabilité : peut-être n'ai-je pas encore assez prié pour être propre ? Peut-être qu'après trois demies-douzaines de prières suppémentaires mon âme sera lavée de son péché, comme mon corps de se ssouillures après trois douches ?
Mais entre temps, j'ai commis d'autres péchés, et je serais toujours en retard de plus de demies-douzaines de prières et de chapelets qu'il ne m'en faut pour laver le premier péché, depuis que j'ai commis les autres... Voyons ...Voyons, calculons !


La comptabilité du péché,
inéluctablement défavorable à l'homme.


Calculons en effet : calculons que des paroles adressées à Dieu n'efface pas notre péché, et, surtout, qu'il en faudrait tellement, à la vitesse à laquelle nous péchons, que ce serait humainement impossible d'être sauvé par la seule prière. Il y a longtemps, dans un article précédent, je citais Marc chapitre 10, 17 - 27 : « Pour les hommes, c'est impossible, mais à Dieu tout est possible. » (que l'on retrouve en Matthieu chapitre 19, 16 - 30 ; et en Luc chapitre 18, 18 - 30.)
Oui, il nous est impossible de nous sauver par la prière. La prière ne sauve ni de la culpabilité, ni de notre péché lui-même. Le sacrement de la confession lui-même, dans la théologie catholique, n'efface pas la péché. Il nous permet de nous réconcilier avec Dieu, mais pas de "laver notre âme" comme si le péché n'était qu'une saleté qui souillait une sorte de corps immatériel.

Ce que nous avons accompli, nous l'avons accompli. C'est peut-être le plus terrible fardeau de l'humanité, dont la condition est d'être soumise au temps, que de ne pas pouvoir retourner en arrière pour effacer ses erreurs. Mais peut-être, après tout, est-ce une bénédiction : si nous retournions en arrière, n'effacerions-nous pas notre erreur en en commettant une plus grosse encore ? Je prends un exemple - si j'ai fait ce que j'ai fait, c'est parce que je souhaitais atteindre un but tout-à-fait louable : faire un cadeau à un ami. Pour cela, il me fallait les moyens de le faire et c'est pour cela, imaginons, que j'ai commis une faute. Si je retournais en arrière, n'essayerais-je pas d'atteindre ce but plutôt que de réparer mon erreur de la bonne manière ? Ce péché ne doit-il pas plutôt m'apprendre à renoncer à vouloir quelque chose dont je n'ai pas encore les moyens, à patienter jusqu'à ce que le temps et les efforts me permettent d'accomplir ce but avec fierté ?


Le besoin de Dieu
qui seul délivre du péché
.


Aussi, si je priais, n'était-ce ni pour retourner en arrière effacer mon péché, ni pour soulager ma culpabilité. Je me sentais en fait plutôt comme le publicain de Luc, chapitre 18, 9 - 14 : celui qui se frappe la poitrine en appelant vers le seigneur : « Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis », quand le pharisien se justifie lui-même. Saint Jean Chrysostome interprète cette parabole selon le jugement et l'humilité, en condamnant le pharisien parce qu'il juge son prochain, quand le publicain reste humble. Mais il ne va pas jusqu'au bout de l'explication : les exégètes postérieurs nous disent que, si le publicain est justifié par son humilité, c'est parce que, dans sa faiblesse, il reconnaît qu'il dépend de Dieu, dont il a besoin de la protection, alors que le pharisien, lui semble proclamer que ses bonnes actions le rendent indépendant du jugement de Dieu, puisqu'il se justifie par lui-même.

Je suis, moi, le publicain qui a besoin de Dieu. La reconnaissance de mon propre péché me pousse à constater ma faiblesse : devant la tentation de mal faire, je succombe « Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas. » (Romains, chapitre 7, 19.).
Oui, j'ai relu récemment les épîtres de Paul aux Romains et aux Galates. La première est assez compliquée à résumer, car très dense. Paul parle cependant longuement des moyens du salut, en comparant la voie de l'Ancien Testament (la Loi) et celle du Nouveau Testament (la foi en Jésus-Christ). Il affirme que la Loi ne peut pas sauver, car en donnant la connaissance du bien et du mal, elle aggrave les péchés des hommes : en effet, celui qui péche en ignorant la Loi, ignore qu'il péche, alors que celui qui connaît la Loi, mais dont la chair est incapable de résister au péché, commet une faute plus grave parce qu'il a conscience de son manquement.

- La Loi, me semble t-il, opère finalement de la même manière que l'interdiction originelle du jardin d'Eden, et participe du même échec (cf. jetecherche-des-laube.blogspot.ca/2012/08/pourquoi-le-fruit-defendu.html). -

Selon Paul, la foi seule en Jésus-Christ, qui, innocent, s'est sacrifié pour racheter les coupables, peut sauver l'âme humaine du péché.
Je n'en suis pas moins pécheur pour autant : l'homme, dans sa chair, est soumis par nature au péché depuis le péché originel, et c'est la raison pour laquelle le pharisien de Luc ne peut s'ériger en juge du publicain : parce que lui aussi, malgré la Loi, est enchaîné au péché, dès sa naissance dans ce monde.

Alors, ce n'est pas seulement la clémence de Dieu que j'implore dans mes prières, lorsque je récite le Rosaire : ce que je supplie, c'est de me donner le soutien, la force morale qui me manque pour résister à la tentation du péché, car, je me sens enfermé dans le péché que je suis impuissant à éviter. Mais, si - encore une fois - « Pour les hommes, c'est impossible, mais à Dieu tout est possible » , alors il ne lui est pas impossible de renouveler mon baptême, de me convertir, jour après jour, vers le bien, de me délivrer du mal.
Voilà le sens profond du verset de la prière du Pater Noster : « Délivre-nous du mal »
(cf. http://jetecherche-des-laube.blogspot.ca/p/prier-le-notre-pere-autrement.html)

Or, ces temps-ci, je me sens comme un galate : Paul se montre très sévère envers eux, car ils sont inconstants dans leur pratique religieuse, reviennent aux vieilles idoles plutôt que restent fidèles à l'Evangile, et oublient les préceptes du Christ. Paul les met en garde, non pas parce qu'ils sont perdus, mais parce qu'ils peuvent encore se corriger.


Ce n'est pas seulement la clémence de Dieu
que j'implore dans mes prières
c'est aussi de me donner le soutien,
la force morale qui me manque
pour résister à la tentation du péché
.


Il me souvient que la Parabole du semeur (Matthieu chapitre 13, 1 - 23 ; Marc chapitre 4, 1 - 20, Luc chapitre 8, 4 - 15) en parle justement, de cette inconstance dans la foi :
« Voici, disait-il, que le semeur est sorti pour semer. Et comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux, étant venus, ont tout mangé. D'autres sont tombés sur des endroits pierreux, où ils n'avaient pas beaucoup de terre, et aussitôt ils ont levé, parce qu'ils n'avaient pas de profondeur de terre: mais, le soleil s'étant levé, ils ont été brûlés, et faute de racines, ils se sont desséchés. D'autres sont tombés sur les épines, et les épines ont monté et les ont étouffés. Mais d'autres sont tombés sur de la bonne terre, et ils ont donné du fruit, l'un cent, l'autre soixante, l'autre trente. Entende, qui a des oreilles !

(...)

« Chaque fois qu'un homme entend la Parole du Royaume sans la comprendre, arrive le Mauvais qui emporte ce qui a été semé dans son cœur; c'est celui qui a reçu la semence au bord du chemin. Celui qui a reçu la semence sur les endroits pierreux, c'est celui qui entend la Parole et aussitôt la reçoit avec joie, mais il n'a pas de racine en lui-même, il est, au contraire, l'homme d'un moment; survienne une tribulation ou une persécution à cause de la Parole, aussitôt il trébuche. Celui qui a reçu la semence dans les épines, c'est celui qui entend la parole, et le souci du monde et la duperie de la richesse étouffent la Parole, qui devient stérile. Et celui qui a reçu la semence sur la bonne terre, c'est celui qui entend la Parole et la comprend : et celui-là porte du fruit et produit l'un cent, l'autre soixante, l'autre trente. »
(trad. Osty)

Je suis cet homme qui reçoit la Parole avec joie, mais qui n'a pas de racines profondes en lui, cet homme d'un moment, qui oublie. Je suis aussi cet homme pour qui la Parole tombe parmi les épines, et que les soucis du monde étouffent. Le seul moyen, alors, pour moi, de ne pas oublier que Dieu seul est mon salut, c'est de me convertir à nouveau chaque jour. Tâche non pas fastidieuse, mais joyeuse, puisqu'il s'agit de m'adresser à celui qui se fait mon père : Paul le répète dans ses épîtres : c'est grâce à l'incarnation divine du Christ, qui fait de nous des frères du Fils, que l'on peut appeler le Seigneur « Abba ! Père ! »: Il est né d'une femme, d'un être humain. Cette femme, Marie, nous a donné l'incroyable cadeau d'être enfants de Dieu, puisque frères de son Fils. Voilà pourquoi nous lui disons : « Priez pour nous, pauvres pécheurs ». Nous sommes donc fils de Dieu, tout pécheurs que nous soyons !

Voilà de quoi donner envie de prier joyeusement et quotidiennement le Rosaire, pas ?
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